La nomination de Sadegh Larijani par Khamenei à la tête de la Justice est révélatrice des tensions qui agitent le régime au plus haut niveau. Les premières déclarations de Larijani comme responsable de la Justice, bien qu'appartenant au clan des conservateurs, ne laissent guère de doutes sur sa position envers Ahmadinejad : "La Justice a été défaillante", "Personne ne doit se permettre... de violer les droits ou la sécurité des citoyens. J'annonce que je ne pardonnerai personne à cet égard et que les violateurs seront traduits au Tribunal". Les déclarations ultérieures de Larijani expriment clairement son intention de poursuive les agents de police accusés de viols et de tortures sur les détenus de la répression post-électorale et de limoger Saeed Mortazavi, le Procureur de Téhéran, qui fait partie du camp Ahmadinejad, responsable des procès spectacles des manifestants et des membres des partis réformateurs. La condamnation de membres des forces de sécurité ou de Gardiens de la Révolution affaiblirait le pouvoir d'Ahmadinejad, dont ils sont le principal soutien, et envenimerait la fracture qui gronde dans le camp conservateur entre les pro et les anti Ahmadinejad.
La présence de Rafsanjani à la cérémonie d'investiture de Larijani est éloquente. En effet, il s'agit de la première apparition de Rafsanjani à une réunion publique depuis les élections du 12 Juin, en dehors de son Sermon à la prière du 17 Juillet dans lequel il a formulé les plus grandes réserves sur l'attitude du gouvernement et du Guide Suprême depuis l'élection. Au cours de cette cérémonie il a déclaré que si "la Nation se sentait troublée par les sanctions judiciaires des détenus, la société sombrerai dans le Chaos".
La présence de Rafsanjani à l'intronisation du nouveau responsable de la Justice est incontestablement une manifestation d'approbation du choix de Khamenei.
Ce choix fait suite aux multiples attaques et menaces contre Khamenei adressées à l'Assemblée des experts dont Rafsanjani est le chef. La nomination de Larijani est vraisemblablement le prix à payer par Khamenei pour se préserver momentanément de la pression de Rafsanjani.
Hachemi Rafsanjani est de longue date, un homme possédant un réel pouvoir dans la société iranienne. Proche de Khomenei, dont il est le demi-frère, il est l'un des co-fondateurs de la Révolution Islamique et il a conservé le soutien d'une grande partie du clergé qui lui reste fidèle malgré le conflit qui l'oppose au Guide Suprême Kamenei. Sa fortune lui permet de contrôler un important réseau d'Universités privées, qui sont le creuset de la contestation dure contre le régime, et un vaste réseau de commerce import-export dont l'activité n'est pas sans incidence sur l'économie du pays.
On peut imaginer que le Guide Suprême, censé détenir le suprême pouvoir, ait pris quelque ombrage de ce grand frère qui ne s'autorise que de lui-même à se mêler des plus hautes affaires de la République Islamique. Dans ce contexte, Ahmadinejad apparaît comme l'élément fougueux, virulent et impulsif lancé à l'assaut de la proie aux fins d'en harasser l'énergie et l'influence pour mieux rehausser celles du Guide Suprême. Tel n'est pas le tempérament de Rafsanjani, qui est retenu dans ses propos, patient mais attentif, il ne se rue sur sa proie que lorsqu'il est certain qu'elle est en situation de faiblesse. Il n'est pas démocrate ou démagogue, au sens où nous l'entendons, c'est à dire qui cherche son soutien dans l'opinion publique, mais un homme d'appareil, d'influence et d'intrigue. Face à la charge de Khamenei via Ahmadinejad en 2005, Rafsanjani, l'ancien conservateur trahi par le Guide Suprême, a attendu l'élection de 2009 pour sortir de son chapeau un vieil intégriste des premières heures de la Révolution Islamique, Hossein Mousavi, mais re-coloré en réformiste vert pour l'occasion, dont le discours électoral tourné vers l'ouverture au reste du monde a séduit les attentes d'une grande partie de la jeunesse et de la classe moyenne. Khamenei a cautionné une fraude électorale qui l'a privé de la victoire, cependant Rafsanjani ne devait guère se faire d'illusion sur l'issue officielle du scrutin, lui qui a été battu par Ahmadinejad en 2005 avec un score de 19% au premier tour qui s'est transformé en 62% au second tour. Cependant Mousavi est parvenu à créer une crise politique qui a fortement ébranlé le pouvoir du Guide Suprême et disqualifié Ahmadinejad et dont l'onde de choc peut être habilement exploitée par Rafsanjani.
Si Mousavi a immédiatement contesté le résultat des élections, ce qui était son rôle, Rafsanjani a attendu plus d'un mois, pendant lequel Khamenei et Amadinejad ont commis d'ignobles fautes sur les citoyens, pour venir les dénoncer dans son
Sermon du 17 Juillet et attiser les braises qui menacent de détruire le sommet de l'Etat.
Apparemment Rafsanjani ne bénéficie pas d'une grande popularité et il serait certainement plus exact de dire qu'il est impopulaire, notamment auprès de la jeunesse, à cause de sa richesse et des faveurs qu'il a octroyées aux membres de sa famille lorsqu'il était au pouvoir. Mais cette jeunesse qui s'est soulevée après les dernières élections est certainement prête aux plus grandes concessions pour gagner quelques onces de Liberté.
Photo : Rafsanjani (à gauche) et Larijani pendant la cérémonie d'investiture